L'employeur peut-il licencier pour un fait de vie privée ?

Publié le par bara de la cgt

L’EMPLOYEUR A-T-IL UN DROIT DE REGARD SUR CE QUI SE PASSE HORS DU TEMPS DE TRAVAIL ?

Le principe est clair : le lien de subordination s’arrête une fois refermée la porte de l’entreprise.
Pourtant, de même qu’il est impossible de ne pas conserver un espace de vie privée pendant le temps de travail, il n’est pas toujours facile de dissocier le travail de la vie privée.

En règle générale, pas d’intrusion excessive dans la vie personnelle du salarié

Exemple : une secrétaire médicale a pour passe-temps une activité de voyante-tarologue. Le médecin qui l’emploie se dit qu’elle va forcément être tentée de tirer profit des dossiers confidentiels de ses clients. Peut-il la licencier sur ce soupçon ? Non, répond la Cour de cassation, à moins d’être en mesure de prouver qu’elle a violé son devoir de discrétion (Cass. soc., 21 oct. 2003, no 00-45.291).

Autre exemple : un salarié habite dans l’immeuble dont il est le gardien. Il continue donc d’habiter sa loge pendant qu’il est malade. Pendant un arrêt de travail, il a une altercation avec l’un des locataires. Du fait que cette dispute a eu lieu pendant une période de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut ni le sanctionner, ni le licencier (Cass. soc., 14 mai 1997, no 94-45.473).

Les libertés doivent être respectées

Le salarié est avant tout un homme, un citoyen dont on ne peut restreindre les libertés sauf si l’intérêt légitime de l’entreprise l’exige et, dans ce cas-là, la restriction doit être proportionnée au but recherché (C. trav., art. L. 1121-1).

L’une des libertés que certains employeurs ont le plus de mal à respecter est celle du domicile. Un représentant qui gardait chez lui la collection de bijoux qu’il commercialisait pour le compte de son employeur, s’était fait cambrioler à plusieurs reprises. Il s’opposait cependant à tout déménagement et la compagnie d’assurance refusait de l’assurer. Malgré cette raison, liée au bon fonctionnement de l’entreprise, la Cour de cassation estima que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 23 sept. 2009, no 08-40.434). De même, elle a désapprouvé le licenciement d’une gouvernante de majeurs sous tutelle qui ne s’était pas conformée à la clause de son contrat, jugée abusive, qui l’obligeait à habiter à moins de 200 mètres de son lieu de travail (Cass. soc., 28 févr. 2012, no 10-18.308).

L’autre liberté que l’on voit parfois bafouée est celle d’avoir la vie sentimentale et familiale que l’on souhaite. Un employeur ne saurait ainsi valablement licencier une salariée en raison de sa liaison avec l’un de ses supérieurs hiérarchiques, sous le prétexte d’éviter un scandale (Cass. soc., 30 mars 1982, no 79-42.107).

Seule exception : le cas des contrats de couple quand les fonctions des deux sont indivisibles. Le licenciement de l’un entraîne alors celui de l’autre (Cass. soc., 12 juill. 2005, no 03-45.394).
Dans le cadre de la protection de la vie privée, l’employeur ne peut pas non plus exiger du salarié qu’il soit joignable à tout moment, sous le prétexte qu’il a reçu un téléphone portable de l’entreprise (Cass. soc., 17 févr. 2004, no 01-45.889).

La Cour de cassation admet plus facilement, on va le voir, les restrictions à la liberté vestimentaire. Néanmoins, elles doivent être justifiées par l’intérêt de l’entreprise et ne pas reposer sur un motif peu avouable, comme ce fut le cas pour ce chef de rang licencié pour avoir refusé d’ôter une boucle d’oreille, la lettre de licenciement indiquant : « votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d’oreilles sur l’homme que vous êtes » (Cass. soc., 11 janv. 2012, no 10-28.213).

PEUT-ON ÊTRE LICENCIÉ POUR UN ACTE DE VIE PERSONNELLE S’ÉTANT PRODUIT AU TRAVAIL ?

Puisqu’il est admis que le salarié a le droit de se ménager un espace de vie personnelle dans l’entreprise, notamment sur son ordinateur s’il en a un ou sur sa ligne téléphonique, il peut se produire des cas où l’employeur découvre des choses qu’il désapprouve. Peut-il pour autant licencier le salarié ? La réponse est généralement négative.

On peut citer l’histoire de ce salarié qui s’était fait adresser une revue libertine au travail. L’employeur l’avait rétrogradé, estimant que la présence de cette revue, visible sur un lieu de passage des clients, avait causé un trouble dans l’entreprise et porté atteinte à son image. La sanction fut annulée en raison de l’absence d’un réel préjudice causé à l’entreprise (Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, no 05-40.803). De même, la découverte de photos érotiques dans le tiroir de bureau d’un salarié et sur son disque dur n’autorise pas l’employeur à le licencier pour faute grave (Cass. soc., 17 mai 2005, no 03-40.017).

EXISTE-T-IL DES EXCEPTIONS AU PRINCIPE ?

La vie privée du salarié est donc, en principe, protégée mais, bien sûr, il y a des exceptions : un fait de vie personnelle peut entraîner un licenciement ou une sanction quand il cause « un trouble caractérisé au sein de l’entreprise » (Cass. soc., 16 mars 2004, no 01-45.062 ; Cass. soc., 25 janv. 2006, no 04-44.918).
Quels sont ces « troubles caractérisés » qui permettent à l’employeur de s’ingérer dans la vie personnelle du salarié ?

On peut les classer au nombre de six :

  •     les atteintes à la sécurité ;
  •     les manquements à la loyauté ;
  •     les indélicatesses ou malhonnêtetés commises à l’aide du matériel de l’entreprise ;
  •     les abus dans l’exercice d’une liberté ;
  •     les atteintes à l’image de marque ou à la réputation de l’entreprise ;
  •     les manquements à une obligation contractuelle légitime.


Par ailleurs, des règles particulières s’appliquent dans ce qu’on appelle les « entreprises de tendance » (voir ci-dessous).
Quand il intervient, le licenciement ne peut pas être prononcé pour faute grave (Cass. soc., 3 mai 2011, no 09-67.464), sauf si, bien que commis hors du temps de travail, l’acte constitue, de fait, un manquement grave au contrat de travail. Nous allons en voir des illustrations.

On ne badine pas avec la sécurité

Le domaine où les tribunaux se montrent les plus intransigeants, c’est la sécurité. C’est de fait l’un des rares motifs pour lequel ils acceptent encore un licenciement pour faute grave, s’agissant d’un fait de vie privée. L’affaire Air Tahiti, récemment jugée, en est la démonstration. C’était un salarié appartenant au personnel navigant d’une compagnie aérienne en tant que membre de l’équipe critique pour la sécurité et qui prenait des stupéfiants pendant les escales. Licencié pour faute grave, il avait plaidé l’atteinte à sa vie privée mais la Cour de cassation rectifie cette analyse : puisque le salarié était affecté à la sécurité, il devait se garder d’absorber des substances dont l’effet se prolongeait alors qu’il était au travail. En conséquence, l’employeur pouvait, à bon droit, considérer ce comportement comme un manquement autorisant un licenciement pour faute grave (Cass. soc., 27 mars 2012, no 10-19.915 P+B).

En ce qui concerne le retrait du permis de conduire, quand celui-ci intervient hors de l’exécution du contrat de travail, la Cour de cassation opère une distinction selon que le métier du salarié consiste à conduire (chauffeur-routier, conducteur-livreur) ou qu’il a seulement besoin de se déplacer en voiture (commerciaux de terrain, par exemple). Elle a ainsi approuvé le licenciement pour faute grave d’un routier qui s’était vu retirer le permis de conduire pour conduite en état d’ivresse alors qu’il se trouvait en dehors de ses fonctions (Cass. soc., 2 déc. 2003, no 01-43.227). Mais à l’occasion d’un autre retrait du permis de conduire appliqué à un ouvrier dont le contrat prévoyait l’obligation de conduire, elle a jugé, au contraire, que l’employeur n’aurait pas dû se placer sur le terrain disciplinaire (Cass. soc., 3 mai 2011, précité).
Il y avait pourtant un manquement au contrat de travail mais apparemment, celui-ci n’était pas assez substantiel pour justifier un licenciement pour faute grave...

Le manquement à la loyauté

Ce que les tribunaux appellent l’obligation de loyauté, c’est essentiellement le devoir de s’abstenir de faire concurrence à son employeur tant que le contrat de travail est en cours, même s’il est suspendu.
On peut citer l’exemple de cette salariée qui avait pris un congé de formation (CIF) pour suivre un stage chez l’un des concurrents directs de son employeur et dont le licenciement pour faute grave fut approuvé par la Cour de cassation (Cass. soc., 10 mai 2001, no 99-40.584). Ou encore celui de cette responsable administrative qui profitait d’un arrêt maladie pour se rendre dans une entreprise en conflit avec celle qui l’employait (Cass. soc., 21 nov. 2007, no 06-44.229).

Les indélicatesses ou malhonnêtetés commises à l’aide du matériel de l’entreprise

La Cour de cassation protège, en raison du secret de la correspondance, les messageries électroniques des salariés sauf si, par une fausse manœuvre, le salarié communique le courriel à l’employeur (Cass. soc., 2 oct. 2001, no 99-42.942 ; Cass. soc., 18 oct. 2011, no 10.25.706 ; Cass. soc., 2 févr. 2011, no 09-72.313). La même protection ne s’applique pas au disque dur de l’ordinateur, sauf pour les dossiers identifiés comme personnels.

Une utilisation personnelle et abusive d’internet, à partir de l’ordinateur professionnel est un cas de licenciement pour faute grave (Cass. soc., 9 juill. 2008, no 06-45.800 ; Cass. soc., 18 mars 2009, no 07-44.247). De même pour des faits de harcèlement sexuel via MSN, pendant les heures de pause (Cass. soc., 19 oct. 2011, no 09-72.672).

Les abus dans l’exercice d’une liberté

La jurisprudence est assez libérale vis-à-vis du salarié qui s’exprime hors de son entreprise, tout en réservant le cas de l’abus. Exemple, un joueur de football qui fait, dans la presse, des déclarations négatives sur son entraîneur, n’abuse pas de sa liberté d’expression (Cass. soc., 28 avr. 2011, no 10-30.107). En revanche, le débat reste ouvert quant à la marge de manœuvre sur Facebook. Les cours d’appel sont divisées et l’on attend la décision de la Cour de cassation. Les propos mensongers et diffamatoires, comme par exemple mettre en cause la moralité de l’employeur dans sa vie privée, constituent en tout cas, des abus de la liberté d’expression justifiant un licenciement (Cass. soc., 21 sept. 2011, no 09-72.054).

Les atteintes à l’image de marque ou à la réputation de l’entreprise

La Cour de cassation admet, avec parcimonie, les licenciements liés à des décisions personnelles lorsque celles-ci portent atteinte à l’image de l’entreprise.

Dans une entreprise de gardiennage, qui a l’obligation d’avoir un personnel à la probité irréprochable, il n’est pas abusif de licencier pour faute grave un préposé qui a été surpris en flagrant délit de vol dans un supermarché (Cass. soc., 20 nov. 1991, no 89-44.60).

La défense de l’image de marque n’autorise pas un garage concessionnaire d’une marque d’automobile, à reprocher à une salariée de venir au travail au volant d’un voiture d’une autre marque (Cass. soc., 22 janv. 1992, no 90-42.517). Par contre la Cour de cassation considère comme valable le licenciement d’une secrétaire, embauchée par une agence immobilière, qui venait travailler en survêtement (Cass. soc., 6 nov. 2001, no 99-43.988).

Comme on le voit, on se trouve, à ce stade, entièrement dans la nuance et il est difficile de tracer une ligne de démarcation claire.

Les manquements à une obligation contractuelle légitime

La façon de s’habiller est l’un des domaines où les juges admettent le plus facile ment les exigences de l’employeur lorsqu’elles sont légitimes et, de préférence, lorsqu’elles font partie du contrat de travail. On peut citer le cas d’une assistante responsable des réservations dans un hôtel, qui refusait de porter l’uniforme qu’elle jugeait trop osé, et dont le licenciement fut jugé comme reposant sur une cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 13 févr. 2008, no 06-43.784).

Le port d’un uniforme ou d’un type de tenue ne peut être cependant imposé sans motif raisonnable, la sécurité, le contact avec la clientèle. L’employeur ne peut valablement licencier des agents qui, n’étant pas en contact avec le public, ont refusé le port de l’uniforme (Cass. soc., 3 juin 2009, no 08-40.346).

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