HARCÈLEMENT MORAL Accusation mal fondée n'est pas mauvaise foi

Publié le par bara de la cgt

La loi prévoit l’impunité de l’accusateur ou du témoin de harcèlement moral, sauf à caractériser sa mauvaise foi. La Cour précise que seul l’accusateur ou le témoin qui colporte des informations qu’il sait être fausses est de mauvaise foi.

LES FAITS

Une vendeuse est convoquée à un entretien de recadrage. Tout en la félicitant de la qualité de son travail, son supérieur hiérarchique lui fait le reproche de son attitude qu’il estime contraire à la bonne entente dans le magasin. À la suite de quoi, la salariée adresse à son employeur un certificat d’arrêt de travail faisant état d’un harcèlement. L’employeur riposte en la licenciant pour faute grave, estimant qu’elle avait dénoncé sans fondement des faits de harcèlement moral.

LES DEMANDES ET ARGUMENTATIONS

Dans la lettre qui accompagne l’arrêt de travail, la salariée a relaté un certain nombre de faits que lui a fait « subir » sa supérieure hiérarchique : un jour, elle lui a imposé des travaux de déstockage, hors de la vue de ses collègues vendeuses, un autre, elle lui a fait signer un document dont la première page, non signée, était truffée de reproches, alors que la seconde page, signée, en était exempte.

Tout ceci, estime l’employeur, ne relève que « d’une saine politique managériale » destinée à ménager la salariée et ne saurait être qualifié de harcèlement. En réalité, soutient-il, les accusations de harcèlement constituent une simple réponse à un recadrage justifié par le comportement adopté par la salariée depuis sa promotion et attesté par ses collègues de travail. Elles caractérisent une manoeuvre délibérée pour se soustraire à l’exercice normal du pouvoir de direction de l’employeur. La salariée était de mauvaise foi et c’est ce qui justifie son licenciement pour faute grave.

Convaincue de cette mauvaise foi, la cour d’appel déboute la salariée : l’arrêt retient « qu’ayant dénoncé des faits qui n’étaient pas susceptibles de caractériser un harcèlement moral, elle est de mauvaise foi ».

LA DÉCISION, SON ANALYSE ET SA PORTÉE

L’arrêt est cassé : la mauvaise foi « ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce ».

→ Mauvaise foi : les points sur les i

Le législateur a été clair. Conscient que le harcèlement moral prospérait notamment parce que les victimes et/ou les témoins n’osaient le dénoncer, il leur a conféré une protection absolue : « Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés » (C. trav., art. L. 1152-2).

C’est la Cour de cassation elle-même qui, craignant probablement des abus, a ouvert une brèche : tout acte contraire à l’article L. 1152-2 encourt la nullité, certes... à moins de caractériser la mauvaise foi du dénonciateur : « Qu’en statuant ainsi, sans relever des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs et sans caractériser la mauvaise foi dans la dénonciation de faits de harcèlement moral » (Cass. soc., 16 juin 2010, no 09-40.065).

Depuis, la mauvaise foi a été invoquée plusieurs fois et le même scénario s’est reproduit : l’employeur et le juge du fond ont confondu mauvaise foi et griefs infondés, et la Cour de cassation a rectifié. On a donc ainsi appris que la mauvaise foi ne résultait pas du fait que les faits dénoncés n’étaient pas établis : « Attendu que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif sauf mauvaise foi laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis » (Cass. soc., 29 sept. 2010, no 09-42.057 ; même formulation dans Cass. soc., 27 oct. 2010, no 08-44.446).
Il n’était manifestement pas suffisant de définir la mauvaise foi par ce qu’elle n’était pas. Parachevant son travail pédagogique, la Cour de cassation a donc donné une définition claire : pour être de mauvaise foi, le salarié doit alléguer des faits qu’il sait être faux. Voilà qui devrait conduire les employeurs à plus de prudence.

→ Dénonciation de harcèlement : la bonne et la mauvaise réaction

L’affaire ici présentée est un vrai cas d’école. L’employeur a fait exactement le contraire de ce qu’on attendait de lui. Comme encore beaucoup trop de dirigeants, il a cru qu’il pouvait s’ériger en juge alors qu’aux yeux de la Cour de cassation, il fait plutôt figure de suspect. Au lieu d’aller vers la sanction, il lui appartenait, saisi de cette accusation, de diligenter une enquête.

À l’issue de cette enquête, deux situations pouvaient se présenter. Ou l’employeur arrivait à la conclusion que les accusations étaient fondées et il devait alors tout mettre en oeuvre pour faire cesser les agissements, en priant le ciel que la salariée se contente de cette réaction tardive, car, rappelons-le, en matière de harcèlement comme en matière de santé ou de sécurité, l’employeur est censé prévenir plus que réagir. Ou sa première impression lui semblait la bonne. Il lui fallait alors expliquer à la salariée, posément (c’est-à-dire de telle manière qu’elle ne puisse assimiler l’échange de vues à une sanction), pourquoi les faits qu’elle avait ressentis comme des agissements de harcèlement n’étaient que l’exercice normal de son pouvoir de direction. Elle n’aurait peut-être pas été convaincue mais la balle était alors dans son camp : il lui restait la possibilité de prendre acte de la rupture de son contrat de travail ou d’en demander la résiliation judiciaire.

Pour adopter cette deuxième solution, l’employeur devait donc vraiment être sûr de son fait et disposer d’arguments irréfutables.





Cass. soc., 7 févr. 2012, pourvoi no 10-18.035, arrêt no 403 FS-P+B

Texte de l’arrêt
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le troisième moyen :
Vu les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail ;

Attendu qu’aux termes du premier de ces textes aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ; que selon le second, toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail, toute disposition ou tout acte contraire est nul ; qu’il s’en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ;

Attendu selon l’arrêt attaqué, que Mme X... a été engagée le 29 décembre 2005 par la société Hermès Sellier en qualité de vendeuse ; que le 26 septembre 2007, elle a adressé à son employeur un certificat médical d’arrêt de travail faisant état d’un harcèlement ; que par lettre du 27 février 2008, elle a été licenciée pour faute grave pour avoir dénoncé sans fondement des faits de harcèlement moral dont elle aurait été victime ;

Attendu que pour débouter la salariée de ses demandes, l’arrêt retient qu’ayant dénoncé des faits qui n’étaient pas susceptibles de caractériser un harcèlement moral, elle est de mauvaise foi ; que la dénonciation a en effet été faite après un entretien de recadrage avec son supérieur hiérarchique, lequel après avoir témoigné de sa satisfaction sur son travail, a constaté des attitudes contraires à la bonne entente dans le magasin ; qu’assistée d’un avocat, et donc, nécessairement informée de la légèreté de ses accusations et de ses conséquences pour elle, elle les a néanmoins confirmées, tout en omettant encore à ce jour d’apporter les précisions nécessaires à leur crédibilité ; qu’en réalité les accusations de harcèlement constituent une simple réponse à un recadrage justifié par le comportement adopté par la salariée depuis sa promotion et attesté par ses collègues de travail et caractérisent une manœuvre délibérée pour se soustraire à l’exercice normal par l’employeur de son pouvoir de direction ;
Qu’en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 30 mars 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Angers ;

Condamne la société Hermès Sellier aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Hermès Sellier à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept février deux mille douze.
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